Stage de guide - raid à ski 2023

Dans ce printemps bien morose voici quelques lignes sur cette chouette semaine du stage de guide dans le massif de l'Ortles.

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Le raid est fini. Nous sommes rentrés heureux et je suis reparti pour Paris. Un moment loin de la montagne en famille. Calé dans mon siège, le paysage défilant par la fenêtre, j’écris ce que nous avons vécu pendant le raid.

Des soirées de « geeks » à chercher des infos, des topos…

Des journées à switcher d’un écran à l’autre sur les cartes…

Des matins à reboucler sur les serveurs météo…

Est-ce une vie de raid ? Est-ce la vie de raid ?

Et puis un matin il fait beau, le givre sur les vitres comme des arabesques laisse deviner le temps dehors. La porte du refuge coincée par le gel se dégage d’un coup d’épaule. Je sors. La montagne s’éclaire doucement, elle s’illumine. Sur les arêtes, les panaches de neige soulevés par le vent donnent un ton glacial à la lumière. Elle scintille dans les cristaux de glace qui s’envolent. Un magicien lance de la poudre en l’air, et je découvre l’ampleur du massif. Comme c’est beau !

Ce matin, je me pose la question. Comment pousser les jeunes guides à cultiver leur sens de la montagne sans refuser les outils modernes qui sont indéniablement des aides précieuses à la décision ? Comment s’en affranchir, quand le regard et son instinct sont des beaux alliés ? Parfois, il faut savoir éteindre son téléphone et regarder pour entretenir le goût d’observer.

Hier, le vent tempétueux et le froid de gueux nous ont incités à skier dans la face Ouest de la pointe Forni. Les mains en poing dans les gants, le buff remonté au plus haut sur le visage et le bonnet. Quand nous avons passé le col pour fuir la traversée des arêtes, mon regard s’est tourné vers cette combe suspendue. Un itinéraire s’est improvisé en scrutant la montagne. Barrée par des séracs, nous doutions que la combe débouche. Mais l’envie de la remonter nous a incités. Au pire nous redescendrons dedans. Sous la muraille de glace, en zigzaguant dans les barres, nous sommes passés et l’itinéraire de la journée est devenu une jolie boucle. En observant la montagne, l’improvisation a pris son sens.

Ce matin, l’air froid me pique les joues et j’aime ça. Il y a cette couronne de crêtes au sud, puis le Cevedale en forme de triangle géant avec cette combe glaciaire versant ouest où les séracs ressortent pour laisser dessiner le tracé de montée, mais celui qui focalise notre attention est le maestro. La belle immense pyramide du Gran Zebru. Sa face sud striée de couloirs vertigineux peu enneigés semble complexe.

Seuls. Pas une cordée n’est partie ce matin pour le Gran Zebru. Dans la lumière montante, nous remontons lentement les pentes sous le versant Sud-Est. Le couloir et ses marches au soleil donnent accès à l’arête sud ou à la face Est. En arrivant sur la crête, un moment de doute. Au-dessus, la pente logique est raide et tendue de neige rapportée. Comme un drap blanc étalé depuis le sommet, il semble n’attendre que nos spatules pour se laisser glisser au bas de la montagne.

Discussion, regard croisé, analyse factuelle, mesure de la criticité, des conséquences… et puis ressenti …

Est-ce que je le sens ? Est-ce que j’en ai envie ?

Est-ce que ma décision est pertinente ?

Liv, Manu, Thibault, Antoine sont avec moi cette semaine pour valider leur examen de guide de haute montagne sur la partie hivernale. C’est leur dernière semaine de formation/évaluation. Une semaine cruciale pour montrer sa capacité à prendre les bonnes décisions, à mettre en œuvre son expérience acquise lors des années d’aspirant-guide en tutorat ou avec leur clients. Savoir observer pour s’engager ou éviter, contourner voir renoncer.

La partie mixte de la face emporte leur préférence pour rejoindre les pentes suspendues du sommet. J’apprécie. Sans être parfaite, la neige est bonne pour rejoindre la croix du sommet. Là-haut, un paysage incroyable s’étale devant nous. Nous découvrons les sommets de la Bernina aux HoheTauern. Petit cours de géographie alpine, où beaucoup de questions restent sans réponse et c’est tant mieux. Bien sûr, il y a cette maudite application qui peut répondre à notre place en plaçant le téléphone face aux sommets. Mais quelle hérésie de se résoudre à cette solution alors que le questionnement incite, au retour, à chercher en se rappelant la forme des sommets aperçus. Je suis même sûr que si nous avions eu la réponse là-haut, je n’aurais rien retenu de la forme des sommets aperçus et de leur position dans l’arc Alpin. Une application qui pousse à l’ignorance…

« Clac clac », l’appareil photo crépite pour les premiers virages depuis la crête sommitale. Raide, la première pente se négocie facilement. La neige prend un peu les skis mais laisse aussi la place à des appuis doux sans engagement. Ils sont posés sur leur skis, ces jeunes guides. Manu a sectionné la descente en trois parties. La deuxième est celle qui pose le plus de questions. Une analyse fine s’en suit pour prendre la bonne décision. Skier la pente Est ou suivre l’itinéraire estival en crampons. Pour la 3ème partie le choix est engagé. Soit revenir par le couloir Sud et rejoindre le refuge Martello par une remontée à la pointe Casati, soit s’engager dans le couloir Nord et sortir dans la vallée qui descend à Solda. De là, il faudra remonter à la pointe du même nom pour basculer dans la vallée du refuge Martello.

Ces moments de décision sont au cœur du métier de guide. Comprendre l’environnement, poser une analyse la plus fine, se projeter sur ce que l’on trouvera plus bas tout en mesurant la criticité de l’engagement. Tout cela en adéquation avec le groupe.

Nous sommes tous ok pour aller voir l’entrée du couloir Nord et tenter de le skier. S’en suit une descente fine, sans être extrême. Pour nous tous, c’est un vrai plaisir de se faufiler à ski entre ces couloirs raides où la ligne de ski serpente dans la face. J’observe leur prise de décision, leur rôle, leurs regards croisés. Cela fonctionne. Au pied, nos sourires sont larges et la poudreuse accueillante. Il ne nous reste qu’à remonter sur la crête du Solda et descendre au refuge.

Quel plaisir, le raid à ski. Quel plaisir cet engagement en itinérance. Demain sera encore une longue journée sur les crêtes pour rejoindre la pointe Palon de la Mare et descendre sur le refuge Branca. J’aime avancer, rallier un autre refuge, découvrir ce qu’il y a derrière le col. Mais j’aime particulièrement ces moments avec les jeunes guides. Échanger sur l’avenir du métier nourrit le mien.

Les soirées dans les refuges sont autant de bons moments pour boire des bières et réfléchir au lendemain du raid mais aussi à l’avenir du métier. C’est l’occasion de débattre sur les réflexions amorcées en formation la semaine précédente. Comment vivre de ce métier avec les contraintes environnementales et sociétales qui se dessinent ? L’intervention du sociologue du climat Stéphane Labranche auprès de toute la promotion de guides fut un moment particulièrement fort. Par où commencer ? Quelle attitude personnelle ? Comment assouvir nos envies face à nos contradictions ? Comment emmener cette économie du tourisme dont nous faisons partie dans un projet viable dans l’avenir ? Plein de questions sur lesquelles nous avons planché ensemble. Chacun est reparti avec une charge de réflexion et des envies.

3 jours plus tard, assis à mon bureau, je cherche quel est ce sommet aperçu depuis le Gran Zebru avec cette arête en forme de dorsale qui paraissait si immense. Est-ce le Piz Kech ou le Vadret ? Je doute que ce soit le Tavru. Mais je vais chercher encore un peu. Cette gymnastique me force à plonger dans les massifs. Il reste tant à découvrir !!! L’année prochaine, avec la nouvelle promotion de guides, nous continuerons à plonger au cœur des Alpes. Par chance, nous aurons deux jours de plus, ce qui permettra d’y aller surement en transports en commun.

Merci Liv, Antoine, Manu et Thibault pour votre engagement.